La redéfinition permanente de l’État de droit par la Cour européenne des droits de l’homme

2016 
Resume Omnipresent dans les discours politiques et juridiques, l’Etat de droit constitue aujourd’hui l’un des principes revendiques par les Etats a la maniere d’une certification democratique. Forge par les flux et reflux qui ont modele la conception occidentale de l’Etat, de ses fonctions et des limites de son pouvoir, il a progressivement agrege un ensemble d’objectifs presentes comme essentiels par les plus grands instruments de droit international, renvoyant desormais a des elements tant substantiels que formels et s’envisageant egalement dans une perspective supra-etatique. Se pencher sur la maniere dont la Cour europeenne des droits de l’homme le mobilise permet d’analyser empiriquement son passage du ciel des idees de la theorie de l’Etat a la pratique du droit europeen des droits de l’homme en s’appuyant sur une etude jurisprudentielle. En effet, alors meme qu’il ne figure pas dans la Convention de 1950, la Cour s’est progressivement approprie l’Etat de droit en en construisant un double usage : l’envisageant tantot comme rempart contre l’arbitraire, tantot comme contrainte politique, elle l’emploie alternativement pour suppleer preeminence du droit et democratie. Dissolvant la notion dans l’argumentation developpee au fil des affaires, elle en impregne sa jurisprudence comme par capillarite, l’Etat de droit evoluant du statut de notion cle de la theorie de l’Etat a celui de « valeur sous-jacente a la Convention europeenne des droits de l’homme ». Virant parfois a l’invocation, il peut contribuer a engendrer la formation d’un brouillard normatif. Toutefois, en l’inserant au cœur d’un raisonnement fonde sur l’axiologie, la Cour en fait un rouage essentiel de sa technique interpretative : cet usage rhetorique contribue au renforcement de la legitimite rationnelle-legale par la legitimite axiologique car, en evoquant l’Etat de droit, c’est en realite a une certaine idee de la maniere dont un Etat appartenant au cercle des democraties occidentales doit s’auto-limiter pour etre digne de cette appartenance que la Cour renvoie. Ce n’est plus l’Etat qui se trouve ici legitime par un renvoi aux exigences de l’Etat de droit mais la Cour, dans son role de redefinition permanente du modele democratique europeen. C’est donc moins l’Etat de droit lui-meme que ce modele democratique qu’elle entend proteger au nom de l’Etat de droit que la Cour contribue a redessiner jour apres jour. Mais, si evoquer l’Etat de droit lui permet ainsi d’etablir, renforcer ou modifier certaines solutions jurisprudentielles d’importance, au-dela, le procede participe egalement au renouvellement de l’imbrication entre le politique et le juridique via une forme de juridicisation du politique. Car c’est a une notion d’« Etat de droit » modifiee et enrichie par la banalisation de son usage politique que la Cour s’emploie a faire produire des effets. Or, ce faisant, elle risque de le fragiliser en revelant que, dans ce cadre jurisprudentiel, l’Etat de droit est avant tout un discours, une rhetorique. N’impliquant rien par lui-meme, il n’est finalement que l’instrument de qui veut l’instrumentaliser. Avoir conscience de cette incongruence impose une vigilance quant aux rhetoriques qui se mettent en place, particulierement dans un contexte d’etat d’urgence.
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