Femme de tête ou femme de… ? Harriet Taylor et John Stuart Mill

2017 
Depuis qu'il est devenu commun de penser qu'il y a entre un auteur et une oeuvre un lien quasi-mystique (et que l'on oublie les questions plus triviales de copyright), entrer dans un dictionnaire est devenu la consecration, sinon d'un genie original et creatif, du moins de la dignite d'auteur. Le caractere assez masculin de la notion d'auteur ainsi envisage n'echappe a personne puisque l'auteur, the author, est en fait celui qui a qui revient la paternite d'une oeuvre, authorship. Autant dire qu'il a ete longtemps assez dur d'etre a la fois une femme et un auteur, notamment en philosophie, puisque, c'est bien connu, l'homme pense et la femme a des sentiments. L'epoque victorienne, celle du point vue de laquelle nous allons nous placer, a exacerbe cette distribution sociale des capacites supposees naturelles, en donnant a la femme le statut juridique d'une mineure. Etre une femme a l'ere victorienne, c'est toujours d'abord, et avant tout, etre la femme de quelqu'un. Or il y a une exception tres remarquable, ou s'observe non pas simplement une femme liberee tenant tete a un monde masculin (il y en a eu d'autres), mais une femme de tete et de coeur echangeant tour-a-tour avec son mari les attributs du philosophe et du reformiste engage contre les injustices : Harriet Taylor Mill et John Stuart Mill. Harriet Hardy, c'etait son nom de bapteme, a en effet reussi un double tour de force qui en fait une figure unique et paradoxale dans une galerie de femmes philosophes, celui d'avoir ete a la fois mariee deux fois et libre sans reniements, et celle d'etre « l'auteur » d'une oeuvre fondamentale pour le XIXeme siecle… sans que l'on soit absolument certain qu'elle en ait elle-meme ecrit une ligne. Ses « oeuvres completes », recemment publiees par Jo Ellen Jacobs 1 , ne sont constituees, a l'exception de quelques articles de magazines, que de fragments que l'on dirait pour la plupart 1 Jo Ellen Jacobs, The voice of Harriet Taylor Mill, Indiana University Press, 2002. Jo Ellen Jacobs represente un point de vue un peu desequilibre sur Harriet, en reduisant Mill a un prete-nom utile.
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