Toucher le coeur : confrontations du théâtre et des pratiques de piété en France au XVIIe siècle

2015 
La confrontation du theâtre et de la liturgie est un lieu commun de la pensee. Il est un motif rhetorique recurrent chez les peres de l’Eglise pour definir a contrario et par surenchere le bon ethos du chretien a l’Eglise. Ce tour de pensee ecclesiastique, typique de la synthese augustinienne de la rhetorique antique et du christianisme, n’est pas seulement un heritage livresque au XVIIe siecle. Il est particulierement pertinent a la vue des enjeux auxquels est confrontee l’Eglise catholique : elle doit repondre aux accusations protestantes, qui traitaient la messe de farce ; le theâtre renouvele de l’antique se retablit grâce au soutien du pouvoir, se sedentarise et devient un divertissement regulier. Cette banalite nouvelle fait de la Comedie, aux yeux des augustiniens, le lieu d’une « representation vive » et continuelle des passions du monde, particulierement de l’amour et de l’honneur : le theâtre apparait comme une liturgie inversee. La ou les pratiques de piete sont censees amoindrir les passions et nourrir la foi, le theâtre excite les passions et etouffe l’esprit de priere. La querelle de la moralite au theâtre montre non seulement une concurrence morale, mais aussi psychique et affective. Les deux representations pretendent susciter la presence d’esprit et « toucher » le cœur, voire lui « imprimer des mouvements ». La messe est qualifiee de « representation vive du sacrifice de la croix », pendant laquelle le fidele doit se rememorer vivement le sacrifice christique et sa signification grâce a une lecture allegorique, et se l’appliquer a lui-meme. Par la consideration et l’accomplissement de ceremonies, par la vocalisation des psaumes, le fidele est invite a produire des « actes » du cœur pour s’unir a Jesus-Christ. Ce rapport au texte comme trace a suivre, et ce rapport au corps et a la voix comme media pour s’auto-exciter, expliquent pourquoi les comediens professionnels sont condamnes par les devots : ils excitent en eux les passions contraires a l’Esprit saint, ils rappellent des sentiments qu’un penitent ne pourrait pas se rememorer sans « horreur ». La « representation » est alors concue comme un effort de rememoration.Le retablissement du theâtre a l’antique necessitait un discours pour en eclairer les visees et en legitimer l’existence dans une societe chretienne et monarchique. Traduire la mimesis aristotelicienne par « representation » plutot que par « imitation » rendait le theâtre beaucoup plus proche de la liturgie et lui ajoutait les connotations de vue, de presence et de memoire. Le debat entre plaire et instruire est un debat entre theâtre-divertissement et theâtre-ceremonie. Incomber au theâtre la fonction d’instruire, c’etait le rapprocher d’une predication et de la messe, car instruire, signifiait instruire chretiennement. L’echec de sanctification du theâtre des annees 1640 fit conclure a une incompatibilite du theâtre avec la folie et la modestie chretienne, mais la possibilite d’une instruction civique par le theâtre emerge a la fin du siecle. Le theâtre participe de la construction d’une morale laique.
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