Ego sum vermis : De l’insecte né de la pourriture, à la conception du Christ sans accouplement. Un exemple de naturalisme exégétique médiéval

2019 
Christus… vermis dicitur tribus modis, dit le cistercien Baudouin de Cantorbery dans le "De sacramento altaris", son ouvrage sur la liturgie de l'Eucharistie redige entre 1161 et 1181. En effet, trois passages bibliques de l'Ancien Testament evoquent un insecte non specifique et sont mis, dans leur posterite patristique et medievale, en rapport de similitude avec le Christ. L'un d'entre eux illustre pleinement le croisement entre naturalisme et exegese qui s'intensifie aux XIIe et XIIIe siecles : il s'agit du verset 7 du psaume 21, disant "Ego autem sum vermis et non homo". Il est mis en rapport chez certains auteurs medievaux avec la naissance dans l'humidite de la terre, attribuee dans la litterature naturaliste a la vermine, aux "vers", c'est-a-dire aux insectes et aux "rampants". En effet, ceux-ci, consideres depuis Aristote comme des animaux imparfaits, c'est-a-dire inacheves, sont dotes d'une generation specifique puisqu'ils ne naissent pas de leurs semblables mais d'un milieu naturel distinct. Partir de l'interpretation naturaliste de ce locus biblique permet de montrer, a travers des temoignages significatifs depuis la patristique jusqu'au milieu du XIIIe siecle, l'influence du savoir biologique sur le choix des correlations exegetiques. En effet, suite a un subtil glissement d'environnement de la procreation entomologique, passee de la pourriture humide a la "terre pure", cette association entre le "ver" ne sans accouplement et le fils de Dieu genere sans semence ira meme jusqu'a servir d'argument theologique dans les debats portant sur la virginite de la mere du Christ, au moment de l'essor conjoint de la litterature mariale et de l'encyclopedisme latin. Je propose de reconstituer les grandes lignes de ce pont lance entre exegese et mode de generation du ver, en montrant des evolutions et filiations entre divers extraits de la litterature medievale. Seront d'abord examines les trois lieux vetero-testamentaires rapportes au Christ, avant d'eclairer la connaissance medievale en matiere de mode de reproduction non sexuee des insectes. Seront ensuite mises successivement en valeur les deux polarites opposees du ver, vil car ne de la corruption des humeurs, mais aussi pur car engendre sans union corporelle. Quelques pistes conclusives montrent a la fois l'utilisation moderee de ce theme dans la litterature des sermons et l'augmentation des "loci biblici" mis en oeuvre sur le theme du ver rapporte aux vertus christiques.
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