"Hujusmodi practica non est ordinata per ecclesiam". L'exorcisme, une pratique liturgique en question au XVe siècle

2020 
L’exorcisme des possedes, qui s’inscrit dans une longue mais inegale tradition ecclesiastique, semble gagner une importante nouvelle au XVe siecle dans un contexte de crise pour l’Eglise. Charismatique et/ou liturgique, il apparait comme une arme de reconquete au sein d’une chretiente menacee par les agents du diable que sont les heretiques, les invocateurs de demons et les sorciers. L’atteste par exemple un episode de possession collective qui a lieu a Saint-Galmier, non loin de Lyon, que l’inquisiteur et demonologue dominicain Nicolas Jacquier relate dans son De calcatione demonum (1457) : des femmes, reconnues comme possedees, sont exorcisees par des pretres a grand renfort de formules, de messes et de processions ; au passage, les demons expulses de leurs corps revelent des secrets concernant la « secte execrable des sorciers » – celle qui se livre a l’abominable sabbat dont l’imaginaire est en cours de diffusion depuis les annees 1420 – et livrent aux sceptiques la preuve de sa realite. La « parole de gronderie » qu’est l’exorcisme liturgique permet ainsi, de maniere eclatante, de maitriser le prince de ce monde et de retablir la verite et l’unite au benefice de la communaute, selon un schema qui aura une grande fortune a l’epoque moderne. Les demonologues et les theologiens du XVe siecle, notamment des reformateurs, accordent de fait une place plus importante a l’exorcisme liturgique comme moyen de lutter contre les menees diaboliques que ne le faisaient leurs predecesseurs. Ils en rappellent les fondements, mais ils essaient surtout d’encadrer la forme et l’usage d’une pratique dont l’efficacite est avant tout fondee sur la valeur morale de celui qui opere et la liceite sur les objectifs que l’operant alloue a la contrainte des demons. Parmi eux, nous accorderons une place particuliere a Henri de Gorkum, un universitaire de Cologne forme aupres de Jean Gerson a Paris, qui est le premier a lui consacrer vers 1420 un traite entier, la Practica ejiciendi demones. Henri se plaint d’un emploi desordonne, voire perverti de l’exorcisme, une pratique qui « n’est pas ordonnee par l’Eglise » et que chacun, notamment parmi les pretres, exercerait en definitive comme il l’entend. En preciser les regles generales (plus que la liturgie) lui permet de mieux proscrire les exorcismes illicites, ceux que prescrivent les rituels latins de nigromancie [i.e. de magie demoniaque], qui entendent tirer profit de la contrainte exercee sur les demons et sont bien diffuses dans les milieux clericaux. Cette necessite de reforme est-elle seulement une vue de l’esprit ? L’apparition aux alentours de 1400 puis la diffusion des premiers Rituels d’exorcisme, a savoir des livres liturgiques exclusivement dedies exclusivement a cette fonction, permet de se faire une idee plus precise. Ces Rituels, qui livrent ordines et formulaires, puisent a des traditions liturgiques souvent anciennes, reconnues comme canoniques. Bien que d’une grande variete, on pourrait s’attendre a ce qu’ils fixent une norme, notamment sur le plan liturgique. Or la realite qu’ils donnent a voir semble s’accorder avec les inquietudes d’un Henri de Gorkum. Non seulement ils font un usage abondant des formules en vernaculaire, globalement rejetees par les theologiens, mais nombre d’entre eux renferment des formulaires de conjuration voire des pratiques qui proviennent directement de la litterature magique medievale, parfois sans adaptation veritable. Un parcours au sein de quelques-uns de ces livres d’exorcisme permettra de mettre en evidence cette permeabilite entre les deux facettes de l’exorcisme ou de la conjuration, qui perdure encore tres largement dans les Rituels imprimes du XVIe siecle. Les textes qui temoignent de la codification progressive de l’exorcisme liturgique montrent ainsi que la frontiere entre le licite et l’illicite est tenue et que l’ambivalence est souvent maitresse des lors qu’il s’agit d’exercer une forme de controle sur les demons, ce qui est en soi un enjeu de pouvoir de premiere importance, comme le montre, parmi d’autres, l’affaire de 1452.
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