La dynamique de l'équation ethnoconfessionnelle dans l'évolution récente de la structure du paysage religieux québécois : les cas du façonnement des communautés bouddhistes et musulmanes (1941-2001)
2010
La plupart des etudes touchant ce qu'on appelle la « nouvelle immigration » sont consacrees a un seul groupe ethnique, la dimension religieuse etant le plus souvent releguee au second plan si tant est que la religion soit meme consideree autrement qu'en etant simplement nommee. Ironiquement, l'interet pour les nouvelles communautes ethnoreligieuses, synchrone des debats sur la laicite et la gestion de la diversite, fait prendre conscience du fait que l'evolution de l'ensemble du paysage religieux quebecois n'est guere mieux connue, laissant ainsi prise a maintes idees recues. La presente etude s'atele a mesurer le developpement historique de la diversite ethnique et confessionnelle au sein des divers mondes religieux qui composent le paysage religieux du Quebec ainsi qu'au sein meme des « communautes » bouddhiste et musulmane, celles-ci constituant deux etudes de cas. Comme l'ensemble de l'edifice ethnoconfessionnel quebecois est passe au crible, l'echelle d'etude totalisante permet de mettre au jour une serie de distorsions constitutives des donnees de Statistique Canada qui risquent non seulement de compromettre la lecture des donnees, mais la comprehension meme des realites ethnoconfessionnelles. La presente etude documente les difficultes mises en cause. L'amalgame entre l'ethnicite et la religion est chose commune. Par exemple, bien qu'elles fassent l'objet d'autant de documentation sociodemographique de la part de certaines instances gouvernementales, lesdites « communautes » pendjâbie, egyptienne et sri-lankaise n'en sont pas moins des fictions communautaires forgees a l'aide de la statistique -c'est sans compter l'usage de categories discutables qui conduisent a parler de soi-disant « communautes » noire, sud-asiatique ou africaine. C'est que, dans bien des cas, la composante religieuse engendre des communautes ethnoconfessionnelles comme les Pendjâbis sikhs et hindous, les Egyptiens coptes et musulmans ou encore les Sri Lankais bouddhistes et hindous. Au plan theorique, afin d'eviter la confusion entre l'ethnicite et la religion et de se rapprocher des realites communautaires, nous mettons de l'avant le concept de
« groupes ethnoreligieux » qui permet de circonscrire des groupes dont les membres partagent les memes appartenances ethniques et religieuses. Ainsi, les groupes ethniques qui s'implantent au Quebec sont habituellement pluriconfessionnels: les Vietnamiens nourrissent a la fois le bouddhisme et le catholicisme, les Libanais, l'islam et le catholicisme et ainsi de suite. Ceci fait en sorte que la succession des cohortes migratoires met periodiquement en branle une reconfiguration-ethnique et intraconfessionnelle -des grandes communautes de foi (chretiens, bouddhistes, musulmans, etc.). C'est dire que l'implantation et la massification des groupes ethnoreligieux engendrent une chaine de modifications susceptibles de resonner dans plusieurs etages de l'edifice confessionnel quebecois.
A l'aide des donnees de recensement, scrutees sur plusieurs decennies, et des informations colligees sur le terrain, l'operation de distinction entre les appartenances ethniques et confessionnelles fait apparaitre la dynamique de l'equation ethnoreligieuse: l'impact du developpement de chacun des groupes ethniques et confessionnels dans l'evolution et la diversification de tout le paysage religieux. A l'echelle des communautes de foi, la mesure de l'equation ethnoconfessionnelle court-circuite maints stereotypes. Ainsi, releve-t-on que la nouvelle immigration, communement associee a l'alterite religieuse asiatique et africaine, n'en nourrit pas moins le catholicisme quebecois. Balayant toute vision monolithique, l'analyse met en lumiere l'incroyable diversite ethnique qui caracterise les communautes de foi: le bouddhisme quebecois se compose d'une vingtaine de groupes ethniques et derriere l'image arabe de l'islam, on decouvre, au bas mot, une centaine de groupes ethniques.
En outre, la meme mesure portee sur cinquante ans fait decouvrir que les deux communautes de foi a l'etude ont connu de grandes metamorphoses aussi inconnues du grand public que des premiers interesses. Ainsi, la communaute bouddhiste, a l'origine essentiellement chinoise, est devenue plurielle tout en developpant sa couleur indochinoise. La communaute musulmane, initialement libanaise, puis arabo-pakistanaise, a evolue au rythme de son impressionnante pluralite, ce qui ne l'a pas empeche de developper sa dominante arabe, tour a tour nourrie par les Levantins et les Maghrebins. Or, la morphologie ethnoconfessionnelle se complexifie davantage avec l'apport socioculturel grandissant des convertis au sein des communautes. Au surplus, la mise a contribution d'un aussi grand nombre de groupes ethniques oblige a voir la diversite confessionnelle qui se developpe au sein meme des communautes de foi: l'univers musulman est compose de sunnites, de chiites, d'ismaeliens, de soufis alors que le bouddhisme a ses tenants du Mahâyâna, du Theravâda, du bouddhisme tibetain ou de la meditation Zen. En exploitant la variete des possibles qu'offre le religieux, le pluralisme ne cesse de se deployer, une realite qui s'exprime par l'explosion de lieux de culte de plus en plus specialises.
Comme les flux migratoires sont tres differents d'un endroit a l'autre de l'Occident, et qu'ils ne favorisent pas les memes groupes ethniques ou confessionnels, on peut, en conclusion, conceptualiser l'emergence symbiotique d'autant de « complexes non chretiens » -l'ensemble des communautes de foi non chretiennes -qui, par la configuration ethnoconfessionnelle unique de chacun, ajoute a l'originalite des societes d'accueil. A cet egard, par voie de comparaisons avec d'autres societes occidentales, l'originalite de la situation quebecoise est mise en relief.
- Correction
- Source
- Cite
- Save
- Machine Reading By IdeaReader
0
References
0
Citations
NaN
KQI