Les extensions de la post-vérité, questions épistémologiques et politiques : entretien avec Philippe Huneman

2021 
Resume Objectifs Quelle est la logique de l’assentiment donne a une theorie complotiste ? L’ere de la post-verite est-elle a entendre comme une quete de certitude, ou au contraire comme le dechainement d’un doute ? De telles interrogations meritent d’etre apprehendees par un abord psychologique du complotisme, afin d’expliciter le sens et l’equivocite que prennent aujourd’hui les termes de croyance, de verite, de logique assertive ou encore de doute. Cette clarification conceptuelle ne peut s’operer sans examiner l’usage de ces notions par le biais de l’epistemologie de la connaissance et de la philosophie des sciences. Methode Cet entretien a ete mene par Sarah Troube et Olivier Douville avec le philosophe des sciences Philippe Huneman, autour de ses travaux recents portant sur les theories du complot et sur les conditions de la production et de la diffusion de la connaissance scientifique. Resultats L’entretien invite a questionner l’analogie de surface entre les modes rapides de construction des theories du complot et la demarche de constitution de la connaissance scientifique. Il convient de prendre en compte que ce deferlement de post-verites nous offre l’occasion d’interroger les criteres d’un doute rationnel et d’une croyance justifiee. La difficulte de poser des criteres a priori qui permettraient de departager, a partir du seul examen de la croyance individuelle, les usages rationnels du doute et de la croyance, de leurs usages irrationnels, conduit a examiner les conditions de la production sociale de la connaissance. Discussion Reduire l’adhesion aux theories du complot a une croyance individuelle dans la verite de ces theories mene a une mecomprehension du phenomene considere. Prendre acte de l’equivocite epistemique de la croyance permet de la resituer dans sa dimension sociale et interlocutoire d’adresse a l’autre. La question de la production sociale de la connaissance, et plus particulierement de la connaissance scientifique, invite a interroger les processus qui legitiment l’assentiment du public et des chercheurs dans la fiabilite des connaissances scientifiques. Mais elle permet aussi d’identifier, dans les conditions sociales et economiques actuelles de la recherche, les elements susceptibles d’engendrer une forme de defiance envers certaines productions scientifiques. Conclusion L’impossibilite de s’en tenir a un examen de la croyance comme phenomene individuel, et de departager a priori l’irrationnel du rationnel dans le phenomene du complotisme, debouche sur une reflexion epistemologique et politique. En diffusant dans le debat public une indifference a tout partage entre le vrai et le faux, la proliferation de fake news attaque non seulement les conditions meme de la constitution d’un savoir partage, mais met en peril les ressorts de la deliberation democratique. A l’encontre de toute filiation entre l’ere de la post-verite et les philosophies post-modernistes, la comprehension de cette indifference au vrai et au faux est a replacer dans le contexte d’un marche de l’information qui cree les conditions de cette indifferenciation entre faits averes et faits alternatifs.
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