Un métier castrateur dans Le Précepteur de J. M. R. Lenz

Au dix-huitieme siecle, le recours a un ou plusieurs precepteurs etait pratiquement le seul moyen d'education et de formation utilise dans les milieux aristocratiques et aises. C'est pourquoi beaucoup de grands ecrivains impecunieux ont exerce ces fonctions, tels Rousseau ou encore Hegel, Jean-Paul, Holderlin. Jacob Michael Lenz ne fait pas exception a la regle, et on peut penser qu'il regle ses compte avec ce metier dans sa comedie Der Hofmeister, en lui donnant la forme d'un requisitoire contre un tel systeme, pernicieux aussi bien pour l'eleve que pour le maitre. Lenz, qui fut lui-meme precepteur, regle ses comptes avec ce metier dans sa celebre comedie, publiee en 1774. Il y denonce l'alienation subie par son heros, Lauffer, place dans une situation ambigue au sein de la famille qui l'emploie, car il n'est ni tout a fait un domestique, ni l'egal de ses maitres. Se sentant meprise et meconnu, en proie a une sourde revolte, pousse par un besoin de revanche, Lauffer seduit la fille de la maison, Gustchen, a qui il doit enseigner les bonnes manieres et le dessin. En fait, il precipite ainsi son malheur, car la jeune fille, enceinte, est obligee de fuir sa famille, et lui-meme, tourmente par un sentiment de culpabilite, procede a son auto-castration. Lenz confere a cette mutilation un sens symbolique fort. Il denonce a travers elle un metier castrateur, contraignant ceux qui l'exercent a integrer les interdits d'un systeme oppressant et a renier leur personnalite veritable. Meme si les necessites de la comedie l'amenent a privilegier une fin heureuse et a cultiver le grotesque, il se montre virulent en exploitant la crudite derangeante du motif central pour exercer un effet destabilisateur sur le public et le confronter ainsi a la violence qui sous-tend la societe de classes au XVIIIe siecle.