Lieux et autres lieux de la pensée. Langage et espace dans la philosophie des années 60 de Michel Foucault.

2017 
Michel Foucault situe le lieu de naissance des Mots et les Choses dans un texte de Borges qui cite « une certaine encyclopedie chinoise » ou il est ecrit que « les animaux se divisent en : a) appartenant a l'empereur, b) embaumes, c) apprivoises, d) cochons de lait, e) sirenes, f) fabuleux, g) chiens en liberte, h) inclus dans la presente classification, i) qui s'agitent comme des fous, j) innombrables, k) dessines avec un pinceau tres fin en poils de chameau, l) et caetera, m) qui viennent de casser la cruche, n) qui de loin semblent des mouches ». C'est dans l'experience de « l'impossibilite nue de penser cela » que Foucault debute son « archeologie des sciences humaines ». D'emblee, la demarche archeologique de Foucault se place a l'interieur d'un questionnement sur la possibilite ou l'impossibilite de la pensee. Depuis qu'elles existent, c'est-a-dire depuis le seuil de l'âge moderne, au tournant du XVIII° et du XIX° siecle, L'objet d'etude des sciences humaines c'est l'homme, cet etre vivant, travaillant, parlant, qui possede cette etrange capacite de se representer la vie, le travail, le langage, ces trois domaines empiriques qui le constituent. L'objet propre des sciences humaines c'est cette reprise, par l'homme, des contenus des savoirs positifs, dans l'espace de ses mots. On peut dire que l'implicite des sciences de l'homme c'est la subjectivite de l'homme qui constitue, par la possibilite de la representation, la possibilite du savoir lui-meme a l'epoque moderne. Or, la certaine encyclopedie chinoise de Borges se presente comme une taxinomie impensable. Ce texte de Borges manifeste les limites de notre pensee. Il y a donc un apparent paradoxe a ce que ce soit l'experience des limites et de l'impossibilite de la pensee qui ouvre pour Foucault son etude sur conditions de possibilite des sciences humaines comprises comme etudes justement de la possibilite de l'homme de se donner des representations, de penser, de connaitre. L'entreprise archeologique de Foucault se presente donc de prime abord comme l'etude des conditions de possibilite du savoir moderne, a partir de certaines experiences limites qui marquent au contraire l'echec de tout savoir, de tout discours, de toute pensee. Il conviendra alors de comprendre ce curieux tour de pensee, ou la pensee n'est plus reconduite au seul espace positif de sa constitution mais aussi a ses conditions negatives - comme l'exclusion, la ruine, l'effritement, l’asignifiance – qui en constituent la limite. L'heterotopie de Borges, ou encore l'experience langagiere de certains aphasiques sont pour Foucault de telles experiences de l'impossibilite, de la ruine, de l'insignifiance etc. Tout comme la mort, le cadavre, constituaient pour Foucault les conditions negatives, les limites a partir desquelles il a pu constituer son archeologie du regard medical dans Naissance de la clinique. L'archeologie foucaldienne est donc la recherche, non seulement des conditions positives de constitution d'un savoir, mais aussi de ses conditions negatives. Ainsi tout savoir, toute pensee n'est possible qu'a partir d'un « sol » positif, d'un espace de coherence, d'un reseau ordonnateur et secret, en un mot, d'un a priori historique. Cet a priori historique, fixe d'entree de jeu, pour une culture, le mode d'etre spontane de l'ordre au sein duquel elle devra penser. Seulement, certaines experiences limites, comme l'heterotopie de Borges, inquietent non seulement le mode d'etre de l'ordre, mais le fait meme l'«il y [ait] de l'ordre ». Si bien que non seulement les modes d'etre historiques de l'ordre mais meme le fait brut qu'il y a de l'ordre sont inquietes. Ces experiences limites, qui sont pour Foucault des experiences langagieres -les heterotopies, les langages de la folie, la pensee du dehors etc.- ont une portee heuristique, puisqu'elles ont amene le philosophe a repenser radicalement la question transcendantale des conditions de possibilite de l'ordre, de la pensee, du discours, et de la discontinuite historique. L'ordre apparait alors comme la condition meme de la pensee et du discours, mais lui-meme peut se nouer et se denouer, se constituer et s'evanouir, formant par ses transformations, l'histoire discontinue des cultures et des epoques culturelles. Nous serons alors conduits a etudier a la fois comment l'ordre se noue positivement en epoque historique du savoir et a voir comment Foucault, pense la rupture d'un ordre, l'irruption d'un ordre autre qui a toujours a voir avec un certain etre du langage. Comment la discontinuite historique est-elle comprise comme un certain rapport au langage et a l'espace ? L'histoire discontinue que nous livre l'archeologie foucaldienne dessine des systemes de simultaneites qui sont autant d'articulations differenciees du langage et de l'espace. Autant le tableau a l'âge classique, que la fragmentation de l'espace de savoir chez les modernes sont des modes d'articulation specifiques du langage et de l'espace. L'homme lui-meme ne serait qu'une certaine disposition de l'espace et du langage. C'est donc dans un certain champ lexical de l'espace et du langage -L'ecart, la distance, l'intermediaire, la dispersion, la fracture, la fiction, la syntaxe, etc. que Foucault a formule sa pensee de l'histoire et des conditions de possibilite de la pensee et du savoir. Il conviendra alors de montrer comment Foucault renouvelle, hors de toute anthropologie, la philosophie transcendantale a partir d'une pensee du langage et de l'espace.
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