L’arbre dans le paysage des montagnards du Centre-Viêt Nam. Evolution de la biodiversité et des services rendus depuis le début du XXe siècle

2016 
RESUME : Depuis le XIXe siecle, plusieurs periodes se sont succedees au Viet Nam : colonisation, guerre, collectivisation, « Renouveau » (depuis 1986). Les paysages, notamment leurs composantes arborees, n’ont pas ete epargnes. Guerre, exploitation forestiere, progression de l’agriculture ont transforme l’environnement des ethnies minoritaires, bouleverse les paysages des montagnes du Centre-Viet Nam. Quelle place occupe l’arbre dans ces paysages ? Quelles en sont les evolutions, en termes de biodiversite – diversite des especes vegetales –, en termes aussi d’usages, de services rendus aux montagnards ? Resultat de recherches doctorales, la presente contribution se focalise sur la region montagneuse de la province de Thua Thien Hue, a travers quelques exemples de villages peuples d’ethnies minoritaires. Elle se fonde sur une connaissance endogene et exogene des paysages. Les entretiens semi-directifs menes aupres de villageois ont ete completes par l’analyse : - de la litterature et de donnees d’archives, - de cartes d’occupation des sols, dressees a partir de donnees iconographiques et de releves de terrain. De ces recherches, il ressort une evolution majeure, entre l’avant-guerre et l’apres-guerre – sans que cette guerre en soit la seule cause (Robert, 2011). Avant-guerre, l’arbre spontane est l’element majeur des paysages des montagnards. Il peuple les proches savanes arbustives et les forets. Situees dans le domaine tropical humide, celles-ci sont denses, a biodiversite elevee, tant en sous-bois que dans les etages superieurs, avec des especes ombrophiles, sciaphiles, certaines precieuses. Les savanes, elles, renferment des especes heliophiles. Pour les montagnards, ces sylvosystemes sont indistinctement percus comme des forets. Ils sont complementaires dans la reponse a leurs besoins en bois de chauffe, bois d’œuvre et produits forestiers non ligneux – services d’approvisionnement. L’arbre spontane fait aussi partie integrante du paysage agricole. Les montagnards pratiquent en effet l’agriculture itinerante sur brulis ou sylvosystemes et agrosystemes sont intimement lies. Croyant en l’esprit de la foret, ils accordent le statut de forets sacrees a certaines, de sorte que les sylvosystemes offrent aussi des services culturels. L’arbre, les ecosystemes qu’il forme, sont ainsi partie integrante du paysage des ethnies minoritaires, occupant une place majeure dans l’occupation des sols autant que dans les pratiques, les usages, les croyances. Avec la guerre, ils revetent aussi un caractere protecteur, de refuge, dissimulant les montagnards de la vue des soldats americains. Ces derniers dirigent alors leurs attaques (bombardements, epandages d’herbicides) contre cette composante arboree des paysages. Apres-guerre, les paysages changent progressivement. Les montagnards sont sedentarises dans les vallees, ou les ligneux ont ete affectes par les attaques americaines. Les jacheres sont reduites et la place de l’arbre dans les systemes culturaux s’amenuise. Progression de l’agriculture et exploitation forestiere entrainent l’acceleration du recul de la foret. Les sylvosystemes denses, a forte biodiversite, sont repousses a des distances croissantes. L’arbre dans le paysage se rarefie, se transforme aussi. Sa diversite est moindre, limitee aux especes heliophiles pres des villages. Apparaissent aussi de nouveaux sujets, a partir des annees 1990 : heveas, eucalyptus, canneliers et desormais surtout acacias forment des plantations monospecifiques. Les paysages des annees 2000 sont ainsi bien differents de ceux d’avant-guerre. Les montagnards doivent s’adapter a ce nouveau contexte, modifier leurs pratiques ancestrales pour lesquelles l’arbre etait centrale. L’agriculture perd son caractere itinerant et se sedentarise meme, a la demande des autorites, non sans difficultes. Bois de chauffe et d’œuvre sont collectes a des distances croissantes, a moins qu’ils le soient dans les forets plantees. Ces dernieres, bien que monospecifiques, offrent des services non negligeables a ces populations, avec des retombees positives aussi pour le milieu (Amat et al., 2008). Le caractere sacre des forets est parfois transfere a des arbres reliques, sinon a des savanes arbustives, mais non a ces forets plantees, plutot considerees comme des « forets economiques ». En un peu plus d’un siecle, la place de l’arbre dans le paysage a evolue dans les montagnes de Thua Thien Hue. Elle s’est reduite en nombre, en diversite specifique et s’est aussi transformee avec l’apparition d’especes, plantees. Les ethnies minoritaires, dont le mode de vie, les pratiques, les croyances etaient intimement lies aux sylvosystemes, sont contraintes de s’adapter, d’autant plus qu’elles ont ete sedentarisees. Le recul de la foret spontanee, sous le poids des facteurs anthropiques (guerre, exploitation forestiere, progression de l’agriculture), a ainsi des incidences sur la biodiversite, sur les usages et services rendus aux montagnards aussi. Pour enrayer ce recul, la solution adoptee est la plantation de forets. Ces nouveaux sylvosystemes offrent eux aussi des services ecosystemiques. Monospecifiques, ils contredisent le lien entre arbre et biodiversite, d’autant plus qu’il existe un risque d’invasion par les acacias. Amat J.-P., B. Phung Tửu, A. Robert, N. Trần Hữu, 2010, Can fast-growing species form high-quality forests in Vietnam, examples in Thừa Thien Huế province, Bois et forets des tropiques, n° 305 (3), p. 67-76. Robert, A., 2011, Dynamiques paysageres et guerre dans la province de Thừa Thien Huế (Việt Nam central), 1954-2007 - Entre defoliation, deforestation et reconquetes vegetales, These de doctorat presentee et soutenue publiquement le 3 decembre, sous la direction du Professeur J.-P. AMAT, Universite Paris-Sorbonne, 1 172 p. + Atlas (159 p.)
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