Critiques visuelles : observations socio-sémiotiques sur quelques campagnes parodiques environnementalistes

2012 
Cette contribution s'inscrit dans le cadre d'une recherche en cours sur les formes semiotiques verbales et visuelles de la communication environnementale et environnementaliste. Ces formes sont considerees comme elements essentiels pour reconstruire les dynamiques communicationnelles qui fleurissent autour du " metarecit " de la destruction et de la defense de l'environnement aujourd'hui, source d'une nouvelle " normativite " sociale, culturelle et communicationnelle (Jalenques-Vigouroux 2006 et 2007, Catellani 2010a). L'approche choisie est celle d'une socio-semiotique de la culture visuelle, finalisee a la comprehension des phenomenes de communication en tant que dynamique centrale de la societe et lieu de production et reproduction de formes culturelles, de normes et de contraintes. L'objectif specifique de la contribution est l'analyse de l'utilisation de l'image visuelle (fixe et en mouvement, analysee en particulier du point de vue de son interaction avec le texte verbal) dans la communication des ONG environnementalistes, et en particulier l'apparition systematique d'un phenomene intertextuel specifique, la parodie. Nous considerons la critique comme phenomene " emic " (selon les categories de K. Pike) de metadiscours, present dans la societe, qui thematise les contenus et les formes expressives des productions textuelles (verbovisuelles) des entreprises et des institutions critiquees, pour reconstruire un discours plus ou moins " parasitique ", fonde sur une axiologie normative opposee a celle presente dans le discours de l'entite critiquee. Plusieurs campagnes recentes, en particulier celles de Greenpeace contre des entreprises comme Mattel, Volkswagen et H&M, temoignent d'une strategie parodique largement visuelle, forme contemporaine de rhetorique epidictique du blâme, qui vise a critiquer et attaquer en s'appuyant sur le " monde fictif "visuel de la marque pour le deformer et le reinterpreter, ou en faisant entrer en collision ce monde avec d'autres univers fictionnels visuels. La parodie a une histoire ancienne, et represente une forme textuelle visuelle particulierement adaptee au contexte culturelle et mediatique actuelle : la societe de l'image, traversee par l'explosion de la " mass-self communication " et de sa dimension critique et iconoclaste, est le lieu de la demultiplication des identites visuelles et narratives (de marque, fictionnelles, politiques...), de leur mutation et hybridation (voir par ex. le phenomene des " fun cultures "). La parodie devient donc seulement une forme particuliere, strategiquement mobilisee par des acteurs comme Greenpeace, de cette culture visuelle contemporaine de la " reproduction metamorphique ". Nous nous interrogeons alors sur les modalites de cette critique parodique, en lien avec ses objectifs et sa pertinence strategique pour la dynamique communicationnelle des ONG, pour reconstruire une forme contemporaine de " raisonnement figural " en images. Comment Greenpeace construit des parodies visuelles (en particulier electroniques) des discours consumeristes ? Comment l'ONG organise l'attaque parodique, en le coordonnant avec la mobilisation sur les reseaux sociaux electroniques (en suscitant la production de videos a leur tour parodiques), et l'organisation d'evenements ? Quels types d'argumentations et de formes persuasives visuelles sont mobilises ? Comment la " normativite " de la protection de l'environnement entre en collision avec le discours consumeriste, d'un cote, et les univers fictionnels (comme celui de Stars Wars) evoques dans les campagnes, de l'autre ? Une premiere partie de l'intervention presentera les categories qui fondent l'analyse (intertextualite, parodie, etic et emic), et introduira quelques principes de l'approche epistemologique qui est a la base de cette analyse. Nous faisons reference en effet a une approche sociosemiotique des aspects " semiosiques " des faits sociaux, selon la terminologie de Fairclough (2005), qui permet de reconstruire la production de sens des differents acteurs sociaux, avec une reference a la distribution de pouvoir subjacente. Sur le plan methodologique, cette approche s'appuie sur l'analyse des images et des textes verbaux, mais aussi sur celle des pratiques et des interactions, et s'ouvre a d'autres methodologies de recueil de donnees (interviews et observations en particulier). La deuxieme partie de l'intervention presentera l'analyse de quelques campagnes de Greenpeace, en combinant analyse des images et des textes verbaux et interviews des responsables de la communication de l'ONG. Le corpus analyse sera compose des resultats des interviews et d'une serie de videos et de pages Internet, contenant de textes verbaux et d'images qui presentent les critiques, les arguments, les actions et les resultats de ces actions. Du point de vue de l'analyse des textes (verbal et image), l'attention sera concentree en particulier sur les aspects " plastiques " (usages de formes, couleurs, positions), " figuratives " ou " iconiques ", de l'interaction entre verbal et visuel (en reprenant de facon critique les categories de R. Barthes sur l'" ancrage " et le " relai "), de la narration et des strategies d'enonciation. A ces differents niveaux, l'analyse cherchera a comprendre certaines " deformations coherentes " parodiques qui sont operees, et qui defient les " normes " esthetiques liees a la construction des mondes fictifs de chaque univers de marque, pour affirmer d'autres normes (morales, ecologiques). Le renversement des valeurs apparait comme mecanisme central de la parodie environnementaliste, forme particuliere de " semiosis " dialectique sous forme de " raisonnement figural ". Ces strategies seront montrees dans leurs liens avec des dynamiques strategiques extra-textuelles specifiques (l'attaque au capital immateriel des entreprises pour provoquer des effets economiques et de gestion, tout en revalorisant aussi l'emetteur et sa " marque "). Greenpeace en effet cherche avec ses campagnes (entre autres) un changement de comportement des entreprises visees : nous nous interesserons alors aux traces textuelles de cette strategie, aux supports verbaux et visuels d'une forme d'attaque qui se veut hautement " performative ". Les conclusions porteront entre autre sur le lien entre cette rhetorique parodique et le " metarecit " environnemental, galaxie de sens qui reste une reference culturelle fondamentale aussi pour ce qui concerne les textualites visuelles, et sur les mecanismes de gestion de la distance par rapport aux valeurs dans la " raison figurale " (la pensee qui se produit et se communique a travers les images et leur epaisseur, en interaction avec le verbal).
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