Comment peut-on être allemand ? Clandestinité, identité et médiation. Le cas de Charles de Villers

2020 
L’esprit et le caractere des nations, tels que les ont definis les penseurs du XVIIIe siecle, notamment Montesquieu, se complete dans la seconde moitie du siecle et s’enrichit de la connaissance de la culture, des lettres, des arts que la France detient sur ses voisins europeens. La vague d’emigration francaise qui gagne l’Allemagne en 1792, phenomene sans precedent par son ampleur, va donner corps a ce systeme de representation : des milliers d’hommes et de femmes sont subitement confrontes a la dialectique des identites. L’un d’eux, Charles de Villers (1765-1815), un officier d’artillerie originaire de Lorraine, developpe sa theorie des identites nationales. Il lance un appel aux officiers francais stationnes en Hanovre pour les inciter a s’enrichir du patrimoine culturel du pays qui les accueille, pour en rapporter plus tard les depouilles dans leur pays d’origine. A cette premiere attitude, qui est celle d’un colon culturel, succede rapidement une seconde attitude : la decouverte de la philosophie de Kant fait basculer l’avantage en faveur de la nation allemande. Des lors rien de plus urgent pour Villers que de se germaniser. L’identite allemande se construit par antinomie avec l’identite francaise. Villers materialise sous forme de tableaux ce rapport contrastif, et l’etend au genie artistique, notamment a la litterature. C’est ainsi qu’il met en place une theorie interpretative qui annonce la litterature comparee. Sur un plan biographique, cette germanisation s’exprime selon une mystique de la conversion et de la renaissance, ou se melent references religieuses et heroisation personnelle. Le migrant, qui est aussi un clandestin (d’abord par la proscription qui le frappe dans son pays, lui imposant de masquer son identite et de se reinventer un passe ; puis par la surveillance que le pouvoir napoleonien impose aux regions de l’Allemagne du nord), se donne la mission d’informer les Francais des decouvertes qu’il a faites en Allemagne. A travers cette operation de transfert, il affirme son identite de Francais devenu Allemand. Cet accompli declare une adhesion a un nouveau systeme de valeurs, tout en signifiant la memoire de la desidentification, dont il ne cesse de reactualiser le processus par la critique recurrente de la frivolite francaise. L’identite allemande, magnifiee par la culture (langue, histoire, philosophie, poesie, sciences…), est aussi revendiquee dans des ecrits personnels, notamment des lettres. La reaction des correspondants, allemands ou francais, a cette germanisation laisse percevoir un certain scepticisme, ou se fait jour l’idee qu’on ne devient pas francais ou allemand, et que l’identite revendiquee n’est en grande partie qu’une illusion. Dans ce jeu du double miroir, ou l’image de l’auteur se replique a l’infini, l’identite declare son essence fictive, et sa vocation a se realiser en litterature.
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