Scrupules et abstention dans l’exploration des relations entre humains et animaux
2014
Scrupules et abstention dans l'exploration des relations entre humains et animaux Isabelle Mauz, Coralie Mounet, Celine Granjou Cemagref, UR DTGR Nous voudrions esquisser ici une reflexion sur l'existence de scrupules et d'une figure de l'abstention dans l'exploration par les humains de leurs relations avec des animaux sauvages. Cette reflexion est issue de notre enquete sur un programme scientifique dans un parc national, le programme predateur-proies (PPP), et des echanges lors du colloque de Cerisy « Ce que nous savons des animaux ». De ces derniers, nous ne savons en verite pas grand-chose et maintes questions a leur sujet restent en suspens ou n'ont meme pas ete formulees. En particulier, bien que nous ayons toujours fait histoire et societe avec des animaux et qu'ils aient donc ete nos « premiers comparses » (Bailly, 2007), nous n'avons qu'une petite idee des collectifs que nous pouvons former ensemble et du fonctionnement de ces collectifs. Or, les « nous » qu'humains et animaux peuvent constituer (Haraway, 2008) semblent d'une diversite quasi infinie et de nouvelles relations apparaissent constamment : des scientifiques apprennent a etudier un nombre croissant d'animaux qu'ils equipent de dispositifs de surveillance et de suivi ; des therapeutes introduisent des chiens, des chats et des dauphins dans leur travail avec des personnes en difficulte (Michalon, 2010) ; des epreuves d'agility sont menees par des equipes « humanimales » (en l'occurrence un humain et un chien) (Haraway, 2008), etc. Etudier comment s'edifient et se maintiennent, ou pas, de nouveaux mondes communs constitue ainsi un horizon sans cesse renouvele. De fait, les chercheurs en sciences humaines et sociales se sont de plus en plus interesses aux interactions entre les humains et d'autres especes au cours des dernieres decennies, au point que l'on peut aujourd'hui parler d'une « ethnographie multispecifique » (multispecies ethnography) (Kirksey and Helmreich, 2010). La decouverte de l'importance et de la diversite des communautes humanimales s'est accompagnee d'un certain enthousiasme chez nombre de ces chercheurs, qui ont tendu a faire de la relation, de la connexion et de l'engagement des valeurs positives (Candea, 2010). Cette position normative presente selon nous l'inconvenient de masquer l'existence de scrupules et de diverses figures de l'abstention chez ceux qui contribuent a construire les communautes humanimales. Etudiant les relations entre des observateurs scientifiques et des suricates, Candea a mis en evidence l'importance du detachement et de la suspension mutuelle et volontaire de l'action, qu'il nomme « inter-patience » (Candea, 2010 : 249), dans la construction de la communaute que ces hommes et ces animaux constituent. Il montre que, loin de s'opposer, l'engagement et le detachement se completent et que ce dernier constitue une forme de la relation plutot que sa negation (idem : 254) : les observateurs des suricates doivent en particulier s'abstenir de les transformer en pets, en etablissant avec eux une « bonne distance ». L'enquete sur le PPP nous a permis de reperer des formes d'inter-patience mais, aussi, une forme d'abstention plus poussee : si toutes les personnes rencontrees ont exprime la necessite de « ne pas faire n'importe quoi avec les animaux sauvages », certaines d'entre elles ont decide, pour des raisons ethiques, de ne pas participer au programme, voire de renoncer a rencontrer des animaux auxquelles elles sont clairement attachees. Ce sont ces interrogations et ces attitudes de retrait par rapport a une possibilite de vivre et de devenir ensemble (Haraway, 2008) que nous voulons mettre au jour, afin de mieux comprendre comment des communautes melant des humains et des animaux parviennent, ou pas, a naitre et a durer.
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