L’homme altéré. Races et dégénérescence (XVIIe-XIXe siècles)

2016 
Race, origine, souche… Autant de notions piegees qui font aujourd’hui retour, tant dans les discours politiques que dans les travaux scientifiques, mettant parfois radicalement en tension notre espace public. Ce livre propose, a travers un parcours qui embrasse une grande variete de champs entre le XVIIe et le milieu du XIXe siecle, depuis les genealogies nobiliaires ou les textes theologiques jusqu’a l’histoire naturelle et la medecine, en passant par les pratiques d’elevage, de revenir sur l’histoire complexe de ces notions, la maniere dont elles furent integrees a des savoirs heterogenes et mobilisees dans des dispositifs de pouvoir tres divers. Il ne s’agit pourtant pas d’une histoire generale de l’idee de race, encore moins d’une histoire globale du racisme. Son parti pris est d’interroger systematiquement les rapports entre la question de la race et celle, moins connue mais decisive, de la degenerescence, c’est-a-dire de l’alteration ou l’ecart par rapport aux qualites d’origine. Ce choix conduit a souligner l’importance, pour l’histoire du racisme, d’un racisme de l’alteration, qui saisit les differences entre hommes moins sous le mode de l’alterite radicale, en contestant l’unite de l’espece humaine et en absolutisant les differences ; qu’en les reduisant a des versions alterees, degradees ou attardees, de soi-meme et de l’identite humaine, qu’il conviendrait de regenerer, corriger ou perfectionner. Il rappelle combien la notion meme de race fut intimement liee a l’idee de transmission d’alterations (pensees sous le mode de la faute, du peche, de la maladie, de l’accident lie aux conditions de vie ou aux mœurs), qui s’inscrivent dans la lignee et deforment l’identite humaine ou l’empechent de se realiser pleinement. Deviation-degradation d’une humanite d’origine ; fixation-archaisme dans le developpement universel d’une humanite a realiser, tels sont les deux modeles essentiels de ce racisme de l’alteration, qui fonde des hierarchies entre les hommes, et auxquels correspondent des dispositifs de pouvoir specifiques qui, a partir d’une volonte d’inclusion, d’humanisation et d’amelioration, produisent leurs propres dechets, leurs propres effets de domination et d’exclusion. Si ce livre perturbe parfois certaines dichotomies a l’œuvre dans l’historiographie du racisme, il ne vise aucunement a rehabiliter tel ou tel ou a defendre l’indefendable, bien au contraire. Il s’agit de montrer combien une histoire manicheenne masque la profondeur a laquelle est inscrite la notion de race, y compris dans les savoirs les plus contemporains; et combien plus polymorphe et malheureusement plus diffus est le racisme, entendu comme un ensemble de techniques de domination fondees sur la race. Il ne s’agit pas ici de dire ou le racisme n’est pas mais bien la ou on peut le trouver aussi : dans l’affirmation de l’unite de l’espece, dans un certain humanisme universaliste ou dans le liberalisme politique. Il n’y loge ni a titre de reste ou d’archaisme, ni a titre de trahison ou de contradiction : il y a ses logiques propres. Ce sont ces logiques que l’ouvrage s’efforce d’explorer. Mais plus largement, ce livre est une invitation a repartir d’une histoire rigoureuse des differents concepts de race, qui evite les anachronismes et les definitions a priori; pour reinterroger a nouveau frais l’histoire du racisme, objet historiographique si complexe a manier car surcharge d’enjeux politiques helas tres contemporains.
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