Le vol habité dans l’économie symbolique de la construction européenne

2018 
Regis par une rhetorique opposant « science » et « politique », les programmes de stations spatiales civiles sont presentes comme projets diplomatiques censes adoucir des tensions geopolitiques, justifies par les possibilites d’experimentation en condition de micropesanteur qu’ils octroient a la communaute scientifique et industrielle internationale. Precedee par des collaborations officieuses entre laboratoires europeens et sovietiques, l’Europe de l’Ouest entre dans l’exploration spatiale habitee en 1982. Depuis, l’entrainement et le transport des astronautes de l’Agence spatiale europeenne (ESA) se partagent entre les Etats-Unis (NASA) et la Russie (Roscosmos), dont les programmes nationaux pourvoient leur gouvernement en autonomie de lancement et de transport spatial. Au fil des decennies, alors que les agences spatiales detenant un programme habite (a l’exception de la Chine) se rejoignent dans un projet commun a partir de la fin des annees 1990 (l’International Space Station), et alors que la Russie devient detentrice d’un monopole d’acces a l’espace a partir de 2011, les mecanismes symboliques et politiques structurant le programme spatial habite europeen evoluent en consequence. L’entrainement des astronautes en Russie, relatif a ce monopole des lancements habites, entraine la reproduction de traditions et rituels qui, herites du spatial sovietique, en viennent a constituer l’armature symbolique et axiologique d’un corps d’astronautes en charge de representer « l’unite dans la diversite » propre a l’Europe. Nourrissant des relations plus ou moins institutionnalisees avec d’anciennes republiques socialistes du fait de son autonomie (de plus en plus relative) vis-a-vis de l’Union Europeenne, l’ESA devient progressivement une plateforme via laquelle le proces de restructuration des Etats d’Europe de l’Est entame a la fin des annees 1980 peut etre analyse a l’aune des reseaux industriels, des interdependances techniques et des echanges scientifiques qui y transitent. Afin de saisir ces relations d’interdependances, une approche par la theorie des champs semble pertinente a deux points de vue. Tout d’abord, s’interesser a la genese et a l’organisation du programme spatial habite europeen suppose de considerer ce dernier comme le resultat d’une trajectoire institutionnelle empruntant a differents champs : autorite cognitive de la science moderne, role de la production industrielle dans la construction etatique, et rapport a la territorialisation dans l’exercice d’un pouvoir politique national contribuent a la morphologie actuelle des affaires spatiales en Europe. Ensuite, une analyse bourdieusienne permet de circonscrire les vols habites comme un espace social structure, ou se convertissent, se maintiennent et se confrontent des capitaux portes par des acteurs de champs de production autonomes. L’economie des relations entre science, industrie et Etat, esquissee au gre de ce pari theorique, permet d’envisager certaines des conditions sociales par lesquelles les manieres de « faire Etat » en Europe occidentale et le developpement de la bureaucratie ont pu etre nourris par des developpements scientifiques et techniques profondement ancres dans le temps comme dans l’espace. Mettant particulierement en lumiere la formation des habitus des astronautes de l’ESA, l’esquisse d’une theorie d’un « champ de mediation » est apprehendee, de maniere a saisir les conditions de ces relations structurelles entre champs scientifique, industriel et bureaucratique dans le cas d’un secteur spatial en mutation.
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