De la recherche de niche à la recherche de ruche

2014 
> Au milieu des annees 1980, la microglie etait pour les neuroscientifiques, en caricaturant a peine, ces « œufs sur le plat » qui contaminaient leurs cultures d’astrocytes. Ce nom « microglie », a lui seul, presageait leur place infime : la « petite colle » du cerveau. Au cours des annees qui suivirent, les cellules microgliales ont gagne quelques galons comme macrophages du cerveau, mais n’interessaient encore que les neuro-immunologistes en herbe et les pionniers de la theorie immunologique de certaines maladies neurodegeneratives, comme la sclerose en plaques. Des cette epoque, s’est posee la question pro ou anti : ces macrophages endogenes sont-ils purement nettoyeurs, ou contributeurs ? Seuls quelques groupes, comme ceux de M. Mallat, G.W. Kreutzberg ou H. Kettenmann, s’activaient a dechiffrer les proprietes physiologiques de ces microglies. Ce debat sur le caractere positif ou negatif des facteurs inflammatoires et, en consequence, sur la progression de certaines maladies neurodegeneratives et de certaines tumeurs du cerveau reste a ce jour d’ailleurs encore ouvert. Au tournant du XXIe siecle, la montee en puissance des modeles transgeniques, combinee aux avancees de la bioimagerie cellulaire et tissulaire, a eclaire d’un jour nouveau les gardiens immunologiques du cerveau : le role de ceux-ci dans « l’epissage » synaptique leur accordait enfin une place a part entiere dans le theâtre des acteurs neuraux. De facon surprenante, alors que leur presence tot au cours du developpement embryonnaire du systeme nerveux central etait deja attestee, en particulier chez l’homme, depuis le milieu des annees 1990, aucune hypothese n’avait encore ete formulee quant a leur role eventuel au cours du developpement. Ce constat nous a conduits, l’equipe de Pascal Legendre et la mienne, a entreprendre de caracteriser l’envahissement precoce par la microglie de la moelle epiniere et du cortex cerebral [1] (➜). Parallelement, d’autres groupes se sont engages dans cette recherche, dont celui d’Etienne Audinat, qui rapporte egalement dans ce numero les resultats de ses recherches au cours du developpement postnatal precoce du cortex [2] (➜). Depuis quatre ou cinq ans, ce qui etait une recherche de « niche » a la base a attire de nombreuses equipes, et le regard qu’on porte aujourd’hui sur la microglie on devrait maintenant plutot dire « les » microglies, tant les « œufs sur le plat » sont maintenant « brouilles » a considerablement evolue. La seule mention du passage de la synapse tripartite (neurone presynaptique neurone postsynaptique astrocyte) a la synapse quadripartite (ajout de la microglie) suffit a illustrer le chemin parcouru. La recherche de « niche » est une strategie centrale des chercheurs, en particulier dans le domaine des sciences de la vie, pour assurer la perennite de leur financement, de leur avancement, en somme de leur survie scientifique. Devenir un hyperspecialiste d’un domaine pointu, en ayant plusieurs coudees d’avance sur ses poursuivants, est une garantie de publication dans les revues a haut facteur d’impact, element indispensable a l’obtention de credits, ou a la nomination dans un cadre scientifique definitif. Ce modele n’est en soi ni bon ni mauvais pour produire une recherche scientifique de qualite, mais il n’est pas le seul. La recherche qu’on pourrait qualifier de « ruche » en est un autre, peu present il est vrai dans le domaine des sciences du vivant. Probablement contraint par le cout exorbitant des installations de recherche experimentale, ce modele a notamment ete adopte par la physique. Les physiciens ont, peut-etre sans le savoir, adopte une strategie evolutive aussi probablement plus efficace que la competition : la cooperation. Cette strategie n’en est encore qu’au stade embryonnaire en biologie ou en neurosciences et se limite, pour l’essentiel, a des collaborations ponctuelles qui se font et se defont au gre de la mode, ou lorsque les niches deviennent surpeuplees ou tombent sous les griffes d’un dominant. Certaines initiatives recentes, en Europe (human brain project) et aux Etats-Unis (BRAIN), tentent pourtant de promouvoir le modele cooperatif de ruche. Je vois deux ecueils sur la route de ces initiatives louables : l’approche top-down, qui peut braquer les chercheurs jaloux de leur independance, et le risque (➜) Voir la synthese de Pascal Legendre et Herve Le Corronc, page 147 de ce numero
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